La fouille réalisée sur le site du 2, route des Romains a livré une occupation de longue durée. Si les parcelles fouillées étaient bien investies par des vestiges antiques comme cela était attendu à l’issue des sondages archéologique, la surprise a été la découverte de deux nouveaux habitats en terre et bois encore méconnus : le premier, daté de la période médiévale, s’est développé par-dessus l’habitat antique entre les VIe et XIVe siècles et le second, daté de la première occupation allemande, était édifié dans la zone non constructible des fortifications après 1870.
1. Les vestiges antiques
Pour la période antique, on distingue trois grandes phases d’occupation correspondant à sept états s’échelonnant entre le dernier tiers du Ier siècle et le Ve siècle. La première est à mettre en lien avec la nécropole du Ier siècle ; la seconde concerne l’habitat qui se développe par-dessus la nécropole à partir second tiers du IIe siècle et perdure jusqu’à la fin du second tiers du IIIe siècle, éradiqué par un incendie. La troisième, inédite, constitue les restes d’un habitat du Bas-Empire, très certainement en lien avec la nécropole de la Porte-Blanche, qui aurait perduré entre les IVe et Ve siècles.
Les vestiges de la nécropole du Ier- début IIe siècle
Les vestiges contemporains de la nécropole sont de deux types : des vestiges funéraires, deux éléments de parcellaire (ST 100 et 162) et quelques fosses de nature indéterminée. Parmi les vestiges funéraires, on dénombre une sépulture secondaire à crémation, une fosse à offrandes, deux dépôts de céramiques, un bûcher funéraire en fosse et une inhumation d’enfant datée par 14C entre 1 et 130. Le mobilier d’accompagnement funéraire indique que ces crémations sont contemporaines de l’arrivée de la légion VIII Auguste à Strasbourg-Argentorate et non pas de ceux de la légion II comme c’était le cas sur le site voisin du 8-20 route des Romains fouillé en 2014-2015, qui a livré une allée au tombeaux mentionnant des noms de légionnaires de cette dernière. Cette allée est supposée se développer en bordure du decumanus principal qui constitue l’axe menant de Strasbourg-Argentorate à Metz-Divodorum.
Les éléments de parcellaire correspondent à deux résidus de fossés. L’un comportait sur son fond une inhumation de jument datée par 14C entre 4 et 134 (ST 100), et le second, du mobilier céramique datant (ST 162).
À l’exception du fossé comprenant l’inhumation d’équidé, orienté de façon similaire à l’une des deux sépultures à crémation, les autres vestiges présentent une orientation orthonormée par rapport aux mausolées de la légion II et au fossé 162 découvert durant la fouille, et dont le tracé est calé sur la façade avant des mausolées.
Deux stèles funéraires en grès dotées d’inscriptions mentionnant la légion VIII, découvertes dans une fosse dépotoir contemporaine, confirment que ce secteur de la nécropole était bien dédié aux soldats et vétérans de cette légion.
L’habitat du Haut-Empire
Les premières parcelles d’habitat sont aménagées à partir du second tiers du IIe siècle, par-dessus les quelques structures de la nécropole, qui n’ont ici pas fait l’objet d’un remblaiement, les marqueurs de tombes tels que les stèles ayant été démantelés au préalable. Les bâtiments se développent sur des parcelles en bandes, perpendiculaires au decumanus principal et perpendiculairement au fossé 162. Cette première occupation est caractériséee par deux pôles différents, à l’ouest et à l’est, séparés par une zone dépourvue de vestiges. À l’ouest, on distingue la présence de bâtiments en terre et bois, dont seule la partie arrière a été touchée par la fouille, équipés de structures annexes situées dans les arrières cours ; à l’est, se développent des caves, latrines, celliers, silos et fosses d’extraction à l’est.
La localisation de ces bâtiments, dont l’essentiel du plan se prolonge sous l’actuelle route des Romains, indique que le decumanus principal devait, après le démantèlement de la nécropole, avoir subi un premier déplacement vers le sud. En effet, si l’on considère la longueur que ce type de bâtiment peut atteindre, on peut supposer que le decumanus principal se trouvait soit au milieu de la voirie actuelle, soit à hauteur des usoirs sud de la route des Romains. À titre de comparaison, on peut citer les bâtiments aux plans complets découverts sur le site de l’Hôpital Civil, et dont les longueurs étaient comprises entre 15 et 20 m.
Au début du IIIe siècle, on enregistre une modification du parcellaire résultant de l’aménagement du fossé 406 qui vient occulter le front arrière des anciens bâtiments. Au-delà de celui-ci se développe, vers le nord, une nouvelle occupation constituée de caves, latrines, puits, fosses d’extraction et de silos. Ce remaniement pourrait coïncider avec une nouvelle modification de la voirie et peut avoir entrainé un nouvel empiètement du bâti sur celle-ci vers le sud, les bâtiments observés durant la première phase d’habitat ayant disparu du paysage. Ce remodelage urbain est contemporain du développement d’un quartier de production potières à l’est de la fouille, aménagé selon la nouvelle orientation.
L’habitat du IIIe siècle est ruiné par un incendie dont les traces ont été observées dans l’ensemble des caves du site.
L’habitat du Bas-Empire
Suite à cet incendie, de nouvelles structures d’habitat s’installent par dessus les décombres. On dénombre à l’est deux à quatre bâtiments sur solins et sur poteaux plantés, qui s’installent par-dessus les anciennes caves et celliers. Ces aménagements sont dotés de foyers. Quelques latrines et un silo ont également livré un lot important de vaisselle commune attribuable au Bas Empire à l’ouest de la fouille ce qui suggère également une reprise des lieux dans ce secteur. L’absence de bâtiments peut s’expliquer par différentes raisons : soit les bâtiments étaient fondés sur des solins qui ont pu être oblitérés par l’occupation médiévale, très dense dans ce secteur, soit encore, les anciens bâtiments situés au-delà de la berme sud ont pu être réinvestis comme c’est souvent le cas à cette période. Deux fonds de cabanes pourraient également être rattachés à cette phase.
Les vestiges matériaux découverts attestent d’une occupation durant le IVe siècle mais la découverte d’un bol bas complet d’allure franque dans le comblement supérieur de latrines plaide en faveur d’une occupation plus longue qui aurait pu être oblitérée par les occupations postérieures.
2. Les vestiges médiévaux
Les vestiges de l’époque médiévale sont caractérisés par une succession de recoupement multiples de fonds de cabanes, quelques caves, latrines, puits et de nombreux silos, fosses et foyers témoignant de la présence d’un ou plusieurs habitat à l’entrée de l’agglomération actuelle. Le mobilier archéologique récolté dans le comblement de ces structures évoque une occupation datée entre le haut Moyen Âge et le second Moyen Âge. À l’ouest de la fouille, les vestiges sont venus se greffer ou s’adosser sur les anciennes structures de parcellaires antiques, s’établissant perpendiculairement à celles-ci. C’est notamment le cas au niveau des fossés 100 et 406. On observe également des traces de reprise d’un des anciens bâtiments antiques et d’au moins une des caves antiques. Tous ces phénomènes supposent que l’habitat médiéval s’est installé très peu de temps après l’abandon des structures du Bas Empire.
La corrélation de ces données ainsi que la localisation des vestiges permettent de supposer que la fouille a touché une portion de l’ancien village d’Adelnofen situé au nord de l’ancienne Lantsrasse ou actuelle route des Romains, et dont les premières mentions remontent à 786/823. Ce village est rasé en 1392 par les strasbourgeois dans le cadre d’une querelle avec l’évêque Friedrich von Blankenheim, et ne sera jamais reconstruit.
3. Les vestiges contemporains
Les parcelles qui ont fait l’objet de la fouille sont situées dans le rayon d’action des fortifications entourant la ville de Strasbourg et de ce fait, sont déclarées non constructibles à partir de Louis XIV, suite à l’Ordonnance du 9 décembre 1793.
Les premières structures relatives à cette phase sont apparues 0,10 à 0,20 m par-dessus les vestiges antiques et médiévaux. Il s’agissait de solins, de tranchées ou de radiers de fondations comblés de graviers, formant parfois des alignements, mais également de grandes fosses rectangulaires aux dimensions importantes, possibles caves ou fosses d’extraction. Les données de fouille ont permis de rattacher les restes de cet habitat à la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle. Suite au siège de 1870, les fortifications strasbourgeoises ont été ont renforcées par les Allemands qui ont mis en place un nouveau système de « rayons » divisé en trois périmètres établis autour des remparts. Une commission était chargée de valider ou non les demandes de construction éventuelles au sein de ces nouvelles zones non aedificandi. Des constructions en matériaux légers et facilement démontable ont été tolérées au niveau de la seconde bande inconstructible à partir de 1880. Les recherches menées aux archives ont en effet permis d’établir l’existence à Cronenbourg et dans l’Elsau de constructions similaires contemporaines de l’occupation allemande au niveau de ce rayon, à noter que les découvertes effectuées sur notre site sont incluses dans ce même rayon d’action.