Le passé de Sierentz est plutôt bien connu, notamment grâce aux nombreuses fouilles réalisées depuis la fin des années 70 dans la partie nord de la commune près de la petite chapelle de la Hochkirch (Tiergarten, Sandgrube, Zac HOELL). Le site des « Villas d’Aurèle » est lui situé au sud, il semblait donc intéressant de documenter une zone entièrement vierge de recherche. Qui plus est, le contexte topographique et géologique est sensiblement différent du secteur de la Hochkirch : on se trouve ici dans les premiers contreforts loessiques du Sundgau oriental.
A l’issue de l’opération d’évaluation (Latron et al. 2010), la problématique principale était de mieux appréhender l’occupation du Néolithique récent qui avait été repérée et qui se matérialisait principalement par un ensemble de fosses circulaires (dont une contenait des inhumations) et de fentes.
La fouille a permis la mise au jour de plusieurs occupations essentiellement néolithiques mais aussi protohistoriques (fig.).
Le Néolithique moyen (groupe de Bruebach-Oberbergen) est représenté par trois fosses circulaires et surtout par un ensemble de 34 fentes, incluant celles déjà repérées lors du diagnostic.
Sur la commune de Sierentz, des indices Bruebach-Oberbergen avaient déjà été trouvés sur le site de «Tiergarten», sous la forme de deux tessons erratiques (Wolf et al. 1993 : n°20 et 21 fig. 11), attribués dans un premier temps au Rubané. Le mobilier de la fin du Néolithique moyen mis au jour aux «Villas d’Aurèle» n’est pas beaucoup plus abondant.
Les fentes sont des structures que l’on retrouve régulièrement en Alsace dans des contextes couvrant les périodes du Néolithique et de l’Age du Bronze. La fonction de ces structures reste encore aujourd’hui mal définie. Les différentes explications avancées, les liant au domaine de l’artisanat (tannage, tissage), de la chasse (piège) ou encore leur conférant un caractère cultuel, n’ont jamais pu être réellement prouvées. De ce point de vue, Sierentz n’apporte aucune information supplémentaire permettant d’infirmer ou de confirmer ces hypothèses.
En revanche, l’organisation spatiale des fentes sur ce site est assez unique. Orientées sud-ouest / nord-est, elles sont disposées le long d’un couloir sud-est / nord-ouest d’une trentaine de mètres de large traversant la zone fouillée du nord vers le sud. Tout se passe comme si leur implantation suivait un tracé linéaire non matérialisé. Si l’on ajoute à cela le fait que le profil des fentes évoque de manière assez nette le profil des fosses composant les fossés discontinus bien connus dans le Néolithique régional, il est possible qu’il y ait là un rapport entre les deux types de structure que nous voudrions souligner ici.
Objet principal de la problématique originelle, l’occupation du Néolithique récent repérée lors du diagnostic n’a été complétée que par cinq fosses circulaires dont une seule contenait une inhumation.
Sur la plupart des sites ayant été fouillés sur une surface suffisante, les structures Munzingen s’organisent sous forme de grappes (Holtzheim, Wittenheim ; Kunhle et al. 2001, Guillotin et al. 2011). Ce modèle ne s’applique pas à Sierentz, où les structures apparaissent assez isolées et réparties sur toute la surface fouillée.
Trois structures ont livré des restes humains. La structure 90 a livré les restes partiels d’au moins un individu adulte et d’un bébé, déposés sur un amas de matériel. Un fragment de crâne a été trouvé dans le comblement de la structure 117. Dans la fosse 138, fouillée lors du diagnostic, les squelettes complets de trois enfants et d’un adulte (ce dernier en positon conventionnelle) ont été mis au jour sur le fond de la structure.
Les caractéristiques de cette dernière sépulture correspondent parfaitement à ce qui est attendu dans le Munzingen de la région mulhousienne. Les ossements humains isolés tels que le petit morceau de crâne de la structure 117 sont, en revanche, une trouvaille assez rare
dans le Néolithique récent alsacien, mais beaucoup plus fréquente dans le Michelsberg extrarégional (Lefranc et al. 2010).
La fosse 90 est, quant à elle, un cas un peu particulier. L’amas de mobilier sur lequel reposaient les restes humains se composait de galets, de fragments d’outil de mouture en grès, d’argile cuite, de restes osseux animaux et de tessons de céramique. Cet amas ne ressemble pas aux dépôts de matériel observés dans les inhumations en fosse circulaire « classique » telle que la structure 138. Il possède en effet un très fort aspect détritique : aucune organisation particulière pouvant évoquer un dépôt volontaire n’a été reconnue. Tout se passe comme si les différents éléments avaient bel et bien été jetés dans la fosse. On note aussi que beaucoup de ces objets ont subi une forte chauffe ayant occasionné la déformation de certains vases et l’éclatement des galets. Les os animaux et humains ne portent, eux, aucune trace suggérant une action du feu. L’absence de sédiment au sein de l’amas et entre celui-ci et les os humains, tout comme l’homogénéité du comblement, indiqueraient que les différents dépôts (mobilier et squelette) et le scellement de la structure ont été effectués, sinon à un moment unique, pour le moins dans un laps de temps assez bref. Plusieurs hypothèses sont dès lors envisageables. Soit nous sommes ici en présence d’un rituel particulier qui aurait consisté à créer un «lit» de mobilier, au préalable volontairement détérioré à l’extérieur de la structure, sur lequel aurait été déposés les corps ou partie de corps des défunts. Soit il s’agit bel et bien d’une fosse détritique dans laquelle les restes d’un enfant et des parties de corps d’adulte ont été jetés. Il semble assez difficile de trancher entre ces deux hypothèses principales, cette fosse étant, à notre connaissance, un cas unique dans le Munzingen alsacien.
La datation de cette occupation pose problème. L’étude de la céramique a montré que la grande majorité du matériel trouve son équivalent sur des sites de la région mulhousienne habituellement attribués à une phase ancienne de la culture de Munzingen (Munzingen A) (Jeunesse 1989). Certaines formes sont toutefois absentes de ces ensembles et ne se retrouvent que dans des séries de Basse Alsace et du Kaiserstuhl, datées de la phase B. Dans le même temps, une série de quatre dates 14C ont été réalisées sur les os des structures 90 et 117. Les résultats obtenus donnent un intervalle compris entre 3773 et 3701 Av. J.-C. ce qui est beaucoup trop jeune pour la phase A. Ce décalage entre les datations proposées par l’analyse typologique des ensembles céramiques et les datations absolues au carbone 14 n’est pas particulier à Sierentz et a été constaté pour plusieurs sites Munzingen. Un récent article revient sur ces problèmes (Lefranc et al. 2011). Les auteurs concluent en proposant une nouvelle périodisation interne du Munzingen, particulièrement en ce qui concerne les ensembles de la région de Mulhouse. D’après les comparaisons que nous avons pu effectuer, l’occupation Munzingen de Sierentz serait donc plutôt à placer dans l’horizon A2 proposé par les auteurs de cette contribution. Cet horizon se situerait après 3850 Av. J.-C., ce qui correspond aux les dates obtenues à Sierentz.
La fin du Néolithique est marquée par quatre sépultures campaniformes. Disposées sur un axe nord-ouest / sud-est, elles contenaient les restes d’un enfant, d’une femme et de deux hommes, chacun accompagné d’offrandes.
Une série de quatre dates 14C a été réalisée sur les deux squelettes masculins. Les résultats obtenus donnent un intervalle compris entre 2466 et 2299 Av. J.-C. pour l’un et 2588 et 2310 Av. J.-C. pour l’autre. En excluant la date donnée pour la sépulture d’Achenheim (Salanova 2011), sujette à caution, ces résultats font de Sierentz l’ensemble campaniforme daté le plus ancien du sud de la plaine du Rhin supérieur.
Ces deux sépultures masculines, particulièrement bien conservées, ont en outre fourni des indices quant à l’existence de contenant en matière périssable. Les restes de quatre piquets calcifiés mis au jour dans la tombe 68 permettent d’envisager la présence d’une superstructure hors-sol signalant la sépulture.
Les hommes, déposés fléchis sur le côté gauche, tête au nord-ouest, sont chacun accompagnés de deux gobelets décorés, d’éléments d’armement (huit armatures de flèches en silex, un brassard d’archer en schiste), d’outils (un kit de briquet en silex et marcassite, deux pierres à rainures en grès, divers élément en silex) et de parures (une défense de sanglier, un pendentif arciforme décoré en os). La femme était enterrée en position fléchie sur
le côté droit, tête au sud. Comme les individus masculins, elle avait à ses côtés deux vases décorés (dont seuls les fonds ont été retrouvés) ainsi que des éléments de parures en os (Trois boutons perforés en V, un objet « en forme de huit »), un fragment d’outil de mouture en grès et un éclat de silex. Enfin, l’enfant, dont la position est inconnue, était lui aussi accompagné de deux vases décorés, dont seuls les fonds ont été retrouvés.
Les différentes caractéristiques (pratiques funéraires, mobilier) de l’ensemble funéraire de Sierentz s’intègrent parfaitement au sein du Campaniforme européen. Au niveau régional, les comparaisons restent assez ponctuelles. On peut toutefois souligner l’absence de céramique non décorée, pourtant très fréquente dans les assemblages du sud de la plaine du Rhin supérieur. C’est dans la zone orientale du Campaniforme, et en particulier dans les régions de Bavière, Bohème et Moravie que l’on trouve les meilleurs parallèles (organisation spatiale des tombes, styles des décors céramiques, armature de flèches à base concave entre autres). Quelques éléments, en particulier les armatures de flèches à pédoncule et ailerons, renvoient toutefois à l’ouest du domaine. Le dépôt systématique de deux gobelets décorés comme seul élément céramique dans chaque tombe d’un même ensemble est, à notre connaissance, un élément particulier à Sierentz.
D’une manière générale, ce type de découvertes est assez rare en Alsace, seuls deux autres sites attribués au Campaniforme ayant été mis au jour depuis la fin des années 60. Leur état de conservation et leur riche mobilier font des sépultures de Sierentz une découverte majeure pour cette période dans la région.
Le site est ensuite occupé durant la Protohistoire, mais les indices qui ont pu être mis au jour lors de la fouille restent cependant assez réduits et la nature de ces occupations n’a pu être précisée.
Un grand vase (de stockage a priori) retrouvé écrasé sur place est le seul témoin d’une occupation lors de la période du Bronze final I.
Le Bronze final IIb / IIIa (période RSFO) est essentiellement représenté par un ensemble de 15 fosses circulaires et de fosses-silos. Certaines de ces fosses contenaient des dépôts de vases entiers et s’organisaient le long d’un axe sud-ouest / nord-est dans la moitié ouest de l’emprise.
En particulier, deux de ces structures ont livré plusieurs beaux exemplaires de récipients entiers. Le comblement de ces structures n’a rien de détritique et l’absence d’indice de crémation (os brûlés, cendre…) permet d’écarter l’hypothèse de structures funéraires à crémation. En outre, la disposition des vases au sein des structures permet de confirmer la notion de dépôt céramique volontaire. Ce type de dépôt trouve de nombreux parallèles en Alsace et dans toute l’Europe sur toute la période finale de l’Âge du Bronze. Le site très proche de Sierentz « ZAC Hoell » a livré un tel dépôt rassemblant pas moins de 16 récipients déposés
les uns sur les autres (Roth-Zehner 2007, Vol.I, p.130-133). Par ailleurs, nous pouvons citer l’exemple découvert à Entzheim In der Klamm (daté du Bronze Final I-IIa) qui a fait l’objet d’une publication récente (Landolt et Van Es 2009). La disposition suivant laquelle des récipients sont empilés les uns sur les autres se retrouve fréquemment pour le début et le milieu du Bronze final (Gerstheim, Entzheim etc….). L’interprétation de ces structures reste difficile. L’hypothèse la plus vraisemblable concernant le dépôt d’Entzheim est d’ordre rituel : il pourrait d’agir d’un « service à manger » déposé dans une fosse dans le cadre d’un rituel « alimentaire » qui nous échappe. Nos deux dépôts de Sierentz pourraient s’inscrire dans une telle interprétation. En effet, les récipients en question (écuelles et gobelets) représentent bien des éléments de vaisselle alimentaire.
Six autres fosses et silos sont datés du Hallstatt D1. Il s’agit majoritairement de structures fossoyées dont la fonction reste inconnue, hormis deux silos potentiels. Il est donc possible que nous soyons là en présence des vestiges d’un habitat (relativement discret) ou, plus probablement en bordure d’une occupation plus importante
Enfin quelques menus indices d’occupations postérieures, éventuellement romaines, ainsi qu’une probable aspergerie d’époque moderne et/ou contemporaine ont été mis en évidence.