La commune de Schwindratzheim est située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Strasbourg, sur la route menant au col de Saverne. Elle est située dans un secteur très peu exploré par l’archéologie, du moins en ce qui concerne la Préhistoire. Le site des « Terrasses de la Zorn » est localisé à la sortie est du village sur le rebord d’une colline de loess. Il a été implanté sur une pente bien marquée, orientée nord-sud, et drainée par la Zorn. La situation topographique du site et la présence d’un large bassin de réception en amont est à l’origine d’une circulation importante de l’eau tant en surface qu’en profondeur qui a conduit à une altération du substrat sur de larges zones, altérations qui ont, par endroit, considérablement gêné la lecture des structures.
De plus, le relief et les pratiques agricoles se sont combinés pour que l’action de l’érosion soit très importante sur la surface ouverte. Comme toujours, cette action n’est pas uniforme, mais a creusé deux larges rigoles d’érosion dans la partie sud-ouest et sud-est du décapage. L’absence ou la quasi-absence de vestiges dans ces deux zones doit donc être prise avec réserves. Par ailleurs, l’étude fine des niveaux d’apparition des structures et de l’épaisseur des colluvions a montré que la topographie ancienne du site n’était probablement pas la même qu’aujourd’hui, ce qui explique les différences importantes dans les profondeurs d’apparition des fosses – aux états de conservation proches – certaines affleurant sous le niveau de labours, vers 40 cm environ, d’autres étant recouvertes par plus de 1,5 m de sédiment.
Les débordements anciens de la Zorn ont déposé sur le site plusieurs fragments d’os ainsi qu’un bois gauche de renne retrouvé en partie dans une lentille sableuse. Une datation radiocarbone lui attribue un âge d’environ 17 000 av. J.-C. (exprimé en années solaires). Aucune occupation contemporaine n’a été repérée.
Toutes périodes confondues, 867 structures ont été dégagées, dont 357 ont pu être attribuées à une occupation ancienne. La période la mieux représentée est le Néolithique ancien. Si sa limite nord semble avoir été atteinte, ce que confirme un diagnostic réalisé dans la parcelle située immédiatement au nord-ouest du site (Thomas, 2008b), ce village s’étend probablement plus à l’est et au sud, en direction de la rivière. La découverte de plusieurs fosses dans les années 1970 indique qu’il se prolonge également vers l’ouest sur au moins une quarantaine de mètres.
Trois plans de maisons ont pu être identifiés, peut-être un quatrième. Les autres structures renvoient pour la plupart à la catégorie des complexes de fosses, souvent de dimensions respectables, la plupart peu profonds ; certains atteignant toutefois deux mètres sous le niveau de décapage. Le complexe 72 se distingue par la présence des restes d’au moins six individus.
Certains corps sont complets. Au moins deux individus ne sont représentés que par des paquets d’os sans connexion ou des os isolés. Le seul adulte a été inhumé dans la partie supérieure du comblement, sur le côté droit. Seul son fémur droit a été retrouvé, la jambe droite et le membre inférieur gauche étant absents.
Le mobilier rubané comprend essentiellement de la céramique (dont des tessons de la céramique de Limbourg), des artefacts en silex et de l’outillage lourd en grès et granite (meules, molettes et polissoirs). L’ocre, sous forme de petits blocs, est également bien attestée, mais peu d’entre eux semblent avoir été utilisés. L’outillage en roche polie et le mobilier en matière dure animale ne sont représentés que par quelques fragments.
Après plusieurs siècles sans fréquentation établie, le site est de nouveau occupé au cours du Néolithique moyen. Plusieurs vestiges attribués au groupe de Bischheim ont été découverts, essentiellement dans la zone est, notamment une enceinte à double pseudo-fossés suivie sur près d’une trentaine de mètres. Son tracé se perd dans le remplissage de grands complexes de fosses rubanées où sa présence est toutefois perceptible à travers quelques tessons Bischheim. Plus au nord, il disparaît, victime de l’érosion particulièrement active dans ce secteur. Comme les autres monuments de cette période récemment fouillés en Alsace, il s’agit d’une enceinte de type « Rosheim » à pseudo-fossés.
À environ 80 m au nord-ouest de ces fossés, deux sépultures Bischheim ont été découvertes. La tombe 10, malheureusement endommagée lors du diagnostic, a livré les restes d’une femme âgée de plus de 50 ans. À moins d’un mètre au nord-ouest, un immature a été enterré dans une large fosse ovale (st. 9). Également déposé allongé sur le dos, la tête vers le sud-est, il était accompagné par un mobilier nettement plus diversifié et abondant : un gobelet décoré, des fragments de poix – probablement un bloc de matière brute –, quatre armatures de flèches, un collier, une défense de suiné et une lame en silex.
Une fosse plus tardive (st. 137A) a été attribuée à l’horizon Épi-Roessen. Après un nouveau hiatus de plus d’un demi-millénaire, le site est de nouveau fréquenté au Néolithique récent. Deux fosses Munzingen distantes de près de 100 m ont été découvertes (fig. 2). La plus riche en mobilier correspond vraisemblablement à un fond de silo. La céramique est abondante et comprend au moins 11 vases et de très nombreux plats à pain, une gaine de hache en bois de cerf plusieurs pièces en silex ainsi qu’une lame retouchée en rhyolithe blanche du Nideck.
Plusieurs fentes doivent certainement être attribuées au Néolithique, mais rien ne permet de les relier à une occupation en particulier. Seul le Néolithique ancien semble devoir être exclu.
Il faut ensuite attendre le premier âge du Fer pour que le secteur soit de nouveau fréquenté. À ce moment, les « Terrasses de la Zorn » correspondent à une aire d’ensilage située non loin d’un village dont la présence se devine au travers des rares déchets culinaires retrouvés. Signalons le dépôt d’une dépouille de chien dans un silo.
Les millénaires suivants n’ont livré que peu de vestiges : quelques tessons de La Tène final hors contexte, un fragment de cruche gallo-romaine, sans contexte clair. La situation change avec le 20e siècle avec la mise en culture intensive du secteur. La seconde guerre mondiale a également laissé son – discrète – empreinte : quelques clips de munition de mitrailleuse américaine retrouvés dans une tranchée de combat rappellent le passage des chars du sous-groupement Rouvillois (2e DB) sur la route longeant le site en contre-bas lors de leur charge sur Strasbourg, le 23 novembre 1944.