La commune de Kolbsheim est implantée sur le rebord sud du plateau du Kochersberg, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de l’agglomération strasbourgeoise. Le site du « Vogeseblick » a été découvert en 2009 lors de la réalisation du diagnostic précédant l’aménagement d’un lotissement d’habitations. La fouille préventive qui s’en est suivie en 2010 a permis d’étudier sur près de trois hectares une dizaine d’occupations s’échelonnant du Néolithique ancien (vers 5300 av. J.-C.) à la période subactuelle.
L’intérêt principal de ce site est d’avoir livré les vestiges de deux villages danubiens successifs, le premier daté du Néolithique ancien rubané (5300-4950 av. J.-C.), le second du début du Néolithique moyen (culture de Grossgartach, vers 4950-4750 av. J.-C.).
Sur les 623 structures fouillées, 180 ont pu être attribuées à cet habitat rubané. Plus de la moitié correspondent aux fondations de quatre bâtiments. Avec une longueur de plus de 56 m, le bâtiment 1 est la grande maison rubanée découverte en Alsace et l’une des plus longues de cette culture. Aucune fosse latérale n’est malheureusement conservée, si bien que sa datation fine ne peut être précisée. À noter que le négatif d’un de ses trous de poteau a livré les restes brûlés de plusieurs individus. Les autres constructions rubanées ont été en partie détruites par l’implantation du très grand complexe de fosses 209 (Grossgartach). D’ailleurs, les maisons 3 et 4 sont apparues sous le fond de cette immense structure, seuls les trous de poteau les plus profonds étant conservés. De même, certains des « lobes » de ce complexe de fosses se sont avérés, après étude, être les parties inférieures de fosses rubanées suffisamment profondes pour avoir été préservées des activités d’extraction acharnée des Grossgartach. Les creusements moins profonds ont, bien entendu, été complètement détruits. La densité de fosses rubanées devait donc être largement supérieure.
En plus des restes humains brûlés découverts dans un des trous de poteau du bâtiment 1, trois individus ont été inhumés dans l’emprise de cet habitat rubané (st. 716, 717 et 721). Plusieurs fentes ont également été attribuées à cette occupation d’après le mobilier, comme la st. 336 dont la profondeur dépasse 2,30 m sous le sol actuel !
L’étude du mobilier céramique montre une occupation continue depuis l’étape ancienne jusqu’à la fin de l’étape récente. Un tesson de la céramique de La Hoguette a été découvert dans une fosse rubanée (st. 664).
La limite est du site rubané a, semble-t-il, été atteinte. Vers le sud, ce village n’a pu s’étendre que sur 80 m au plus, jusqu’à la brutale rupture de pente descendant vers la Bruche. Vers l’ouest, la topographie est également marquée par une rupture dans le relief, mais pas suffisamment forte pour marquer à coup sûr la limite du village dans cette direction. Enfin, vers le nord, rien ne permet de préciser l’extension de cet habitat dans cette direction.
La deuxième occupation est attribuée à la culture de Grossgartach. Il existe probablement un hiatus avec le village précédent. Les limites nord et est ont, semble-t-il, été atteintes. En l’absence de trous de poteau dans la fenêtre décapée, il est tentant de placer les habitations au sud, entre la limite du chantier et le rebord du plateau du Kochersberg. Avec seulement 30 structures et aucun plan de bâtiment, cette occupation n’est pas pour autant plus discrète que la précédente. Au contraire, elle a davantage marqué le « paysage ». En effet, cinq de ces structures correspondent à de très grands complexes de fosses comme la 209 mesurant plus de 100 m de long pour une largeur dépassant par endroit 40 m et une profondeur comprise entre 30 cm et 2 m sous le niveau de décapage! Les complexes 219, 282, 590 et 732 ne sont pas en reste. La fonction de tels complexes de fosses reste spéculative ; l’extraction de loess est privilégiée. La quantité de mobilier recueilli est impressionnante : pour ces cinq complexes, plus de 10000 tessons recueillis, 10000 restes d’os animaux, 73 pièces lithiques taillées, 51 lames et fragments de lames polies dont un fragment de masse perforée – à noter que plusieurs pièces présentant des traces de sciage –, 155 kilogrammes de fragments de meules, molettes, mortiers, polissoirs… auxquels il faut ajouter plus de 88 kilogrammes de grès ainsi qu’une vingtaine de kilogrammes de bouchardes et de galets, 38 outils en os et en bois de cervidés, une douzaine d’éléments de parure dont deux bracelets sur bois de cervidé… et un tibia humain.
Avec de telles dimensions, il est bien évident que ces structures ne constituent pas des ensembles clos, leur comblement ayant certainement pris des décennies, ce que confirment d’ailleurs l’étude des remontages céramiques et lithiques – rares et de peu d’ampleur – ainsi que la datation des décors céramiques qui s’étale généralement sur plus de deux étapes du Grossgartach.
Les occupations suivantes, de la seconde partie du Néolithique moyen, sont nettement plus discrètes : une tombe Roessen isolée dont le cadavre a été fortement manipulé (st. 546), une fosse au matériel Bischheim ou Bruebach-Oberbergen (st. 180) et un petit groupe de quatre tombes Bruebach-Oberbergen, le premier connu pour ce groupe (st. 509, 585-587).
Aucun vestige attribuable à la fin du Néolithique moyen (groupe de BORS) ni au Néolithique récent n’a été mis au jour. Il faut attendre le Néolithique final pour que le site soit de nouveau fréquenté. Entre 2600 et 2480 av. J.-C. (dates C14), deux tombes sont aménagées dans la partie ouest du chantier (st. 118 et 835). Aucun objet ne permet de les attribuer à une culture en particulier et la position allongée sur le dos du défunt de la sépulture 118 n’est pour le moment pas attestée ni pour le Cordé, ni pour le Campaniforme.
La Protohistoire est très discrète avec seulement cinq structures dont deux crémations Bronze final partiellement détruites (st. 549 et 596). Leur découverte très haute, dans la couche de labours, laisse supposer que d’autres crémations moins profondes ont disparu. La datation des trois autres structures protohistoriques – dont deux silos – ne peut être précisée faute de mobilier caractéristique.
Aucun élément gallo-romain, même isolé, n’a été recueilli et ce n’est qu’au cours du 6e siècle que le site est de nouveau fréquenté. Un cimetière médiéval est implanté dans la partie est du chantier. Sa présence dans ce secteur était supposée depuis la découverte en 1914/1915 d’inhumations en coffrage de pierre. Ces tombes ont été découvertes à environ une centaine de mètres au sud du décapage.
Au total, 21 sépultures, toutes datées entre 520/530 et 710/720 ap. J.-C., ont été fouillées dans la partie est du chantier. Vingt d’entre elles sont regroupées en bordure de la berme sud, la dernière étant isolée, 40 m plus à l’est (st. 514). Cette dernière se distingue également par la présence de trois inhumations successives, dont celle d’un très jeune enfant déposé dans un coffrage de moellons calcaires. Seul un fer de lance a été retrouvé dans cette fosse, le long de la jambe gauche du premier individu inhumé.
Le groupe principal est incomplet : il se prolonge vers le sud, jusqu’aux sépultures de 1914. Signalons que les limites est et ouest de ce groupe semblent, à quelques mètres près, alignées sur le parcellaire actuel.
L’organisation des tombes n’est pas régulière : certaines sont relativement isolées, tandis que d’autres sont alignées en courtes rangées. Quatre enclos funéraires ont été découverts. Ils apparaissent sous la forme de quart- ou de demi-cercle qui se développent au nord-ouest des tombes qu’ils entourent. Le tracé de deux d’entre eux (st. 559 et 570) semble prolongé au sud-ouest par une fosse ou un court segment de fossé (st. 576 et 572).
Au niveau du décapage, le plan des fosses sépulcrales est irrégulier, mais devient quadrangulaire après quelques centimètres. Ce passage est marqué par un palier sur lequel reposait peut-être le système de fermeture. La tombe 571 se distingue par la présence d’un coffre constitué de grosses dalles de calcaire posées de chant. Dans d’autres fosses, la présence de coffrage en bois est possible. La taille des fosses est variable, avec d’un côté les tombes aux dimensions réduites à celles du corps, et de l’autre, les fosses largement surdimensionnées. Les défunts ont été inhumés sur le dos, les membres supérieurs alignés le long du corps et les membres inférieurs en extension. Plus d’un tiers des squelettes ont été plus ou moins perturbés par des réinterventions intervenues à des stades de décomposition divers. L’orientation dominante est ouest-nord-ouest/est-sud-est, avec la tête à l’ouest-nord-ouest. Le mobilier se compose d’éléments de parure (colliers de perles en verre, ambre et améthyste, boucles d’oreilles), d’habillement (petites boucles en métal) et d’équipements personnels (éléments de briquet, un petit couteau).
Trois autres fosses sont également attribuées au Moyen Âge. Toutefois, les quelques tessons recueillis sont trop petits et/ou ubiquistes pour préciser cette datation. Quelques fosses doivent sans doute être attribuées aux temps modernes, mais le mobilier est trop indigent pour l’assurer. C’est sans doute à ce moment que ce secteur devient une zone de jardins, de vignes et de vergers implantée à l’arrière du village (Inter den Hoeffen). L’essentiel des structures contemporaines correspondent aux fossés parcellaires et aux systèmes d’ancrage des vignes et d’une houblonnière.
Les traces laissées par la Première Guerre Mondiale sont encore bien visibles dans le paysage, à proximité du chantier, comme les casemates de mitrailleuses s’égrainant le long du rebord du plateau, mais aucun boyau de communication n’a été découvert dans l’emprise de la fouille contrairement à ce que laissaient entendre les plans militaires. La qualité de l’acier des piquets employés dans la réalisation des réseaux de fils barbelés font qu’ils sont encore utilisés comme ancrage pour les rares vignes subsistant – du moins avant le décapage – et du barbelé militaire sert toujours de clôture à quelques prés des environs.