La mise en place d’une Zone d’Activités d’Intérêt Départemental (ZAID) à Ensisheim, au lieu-dit Reguisheimer Feld, a motivé l’exécution d’une opération d’archéologie préventive, qui a permis de révéler une occupation s’étendant du Néolithique moyen jusqu’à la fin du IIe siècle de notre ère. La fouille s’est déroulée en deux tranches : du 17 juin au 19 juillet 2013 sur 12 200 m² (OA n° 5758) puis du 9 décembre 2013 au 28 mars 2014 sur 34 000 m² (OA n° 5942).
Un tesson décoré témoigne d’une discrète occupation des derniers siècles du cinquième millénaire, relevant de l’horizon Épi-Roessen (transition Néolithique moyen / récent, 4450-4000 BC). Découvert dans la structure 288, il est le seul témoin de cette période.
Un vase retrouvé brisé en place et cinq fosses contenant de nombreux éléments lithiques thermofractés sont attribués à la période du Bronze ancien. Tous ces éléments se situent dans la partie sud de l’emprise. Les cinq fosses de combustion contenaient une importante quantité de fragments de galets chauffés et partageaient un même plan (quadrangulaire à bord arrondi), quoique de dimensions différentes, et une même orientation nord-sud. Dans le cas de ces fosses à galets chauffés, si leur fonction semble liée à la sphère domestique au sens large, il est difficile d’être plus précis. En revanche, nous n’avons trouvé, au cours de nos recherches, aucune mention de ce type de fosses pour l’Age du Bronze ancien. En tout état de cause, il s’agit des premières structures alsaciennes de ce type pour cette période. Les structures du Bronze final se répartissent en cinq catégories : fosse simple, silo, fosse polylobée, vase en place et concentrations de céramique. Elles ne semblent pas succéder à une occupation antérieure importante. La structure de la tranche 1 est datée du Bronze final Ib-IIa ; celles de la tranche 2 sont plus récentes, plusieurs sont datées du Bronze final IIIa. Ces faits archéologiques évoquent la présence d’un habitat à proximité. L’occupation de La Tène ancienne a laissé des traces seulement au nord-est de la tranche 2. Les silos et les trous de poteaux correspondent à un site rural ouvert, peut-être associé à de l’habitat, que nous ne pouvons guère appréhender vu la pauvreté du mobilier retrouvé. Il permet cependant de proposer une datation allant de la transition Hallstatt D3/La Tène A jusqu’à La Tène A2-B.
C’est à partir de La Tène D1b, avec un floruit à La Tène D2, et jusqu’à la période augustéenne, que l’occupation se développe sur l’ensemble de l’emprise de la fouille. Les structures dans la zone sud – trous de poteaux, fosses et fossés – semblent former un site agricole. Plusieurs bâtiments, certainement des greniers, des étables et peut-être de l’habitat, se dessinent à partir des trous de poteau. Il n’a pas été possible de les dater précisément, mais, surtout pour ceux situés en bordure du paléochenal de la tranche 1. Toutefois, il nous semble possible de les associer à l’occupation de La Tène finale. Au nord-est de la tranche 2, le type d’occupation est différent puisque nous avons dégagés des silos et des fossés, pouvant border une voie d’accès ou former un enclos. Cet ensemble pourrait correspondre à un petit habitat installé en milieu rural.
Enfin, la dernière occupation mise au jour correspond à une partie d’un ensemble funéraire daté du Haut-Empire. L’intérêt de ce dernier, situé à l’extrémité nord de l’emprise de fouille et occupé de façon continue entre le dernier tiers du -Ier s. (fin de la La Tène finale – début de la période augustéenne) et la fin du IIe s. de notre ère, réside en la grande variabilité des dépôts mises au jour et la richesse des enseignements qu’on pu nous apporter l’étude des différents type de mobilier. Au cours des deux siècles d’utilisation, se côtoient et se succèdent la quasi-totalité des types de structures illustrant les différentes phases de la cérémonie des funérailles – structure de dépôt définitif des restes du défunt (sépulture à inhumation et sépultures secondaires à crémation), structure contenant le dépôt des résidus issus de la crémation (dépôts de résidus en fosse) – ainsi que tous les gestes effectués lors des cérémonies de clôture des tombes ou des cérémonies commémoratives illustrées ici par l’enfouissement d’une partie des récipients brisés ou non, ayant pu servir lors du banquet funéraire ou des repas lors des commémorations (dépôts de céramique, fosses à offrandes et fosse de déposition). Seules les structures liées à la crémation même des corps (bûcher individuel ou aire de crémation collective) n’ont pas encore été découvertes à ce jour. L’analyse du mobilier céramique a également apporté un éclairage sur l’évolution des gestes, rituels et traditions en vigueur entre les dernières décennies du Ier s. av. J.-C. et le dernier tiers du IIe s. de notre ère. Des choix dans le type de vaisselle utilisés et déposés dans les différents types de structures funéraires ont pu être mis en évidence. L’analyse topochronologique de l’ensemble associé à l’analyse fonctionnelle des structures funéraires a également permis d’ouvrir des perspectives intéressantes dans la compréhension du fonctionnement de cette portion d’ensemble funéraire, qui s’est avéré être plus complexe qu’attendu, avec une utilisation de ce lieu pour l’enfouissement des restes du défunt sur une durée relativement courte, n’excédant pas un siècle (jusqu’au milieu du Ier siècle de notre ère) suivi, non pas par un abandon du lieu, mais une utilisation et entretien au cours de plusieurs générations, comme semble l’indiquer l’implantation à proximité des sépultures de sept fosses à offrandes (structures liées aux cérémonies commémoratives) au cours de la seconde moitié du IIe siècle. La basse-terrasse à l’est d’Ensisheim, sur laquelle repose le site de la ZAID, participe d’un ensemble géomorphologique plus vaste : une plaine alluviale aux caractéristiques héritées du Tardiglaciare. Les études géomorphologique et d’archéologie du paysage combinées permettent de caractériser les divagations anciennes des rivières de l’Ill et de la Thur. Cela permet de mieux comprendre l’impact des hydrosystèmes sur l’occupation du terrain au cours du temps. Il semble que deux hiatus se distinguent : l’un au Hallstatt, le second au début du IIIe siècle. Ces abandons sont probablement le signe d’un accroissement des contraintes hydrologiques. En ce qui concerne les paléochenaux dégagés sur le site, ils ont fonctionné de manière assurée au Campaniforme puis à l’époque Carolingienne, ce qui a probablement détruit une partie des occupations antérieures. Entre ces deux périodes, il est difficile de connaître leur impact sur le paysage.