

Une fouille d’archéologie préventive menée par la société Antea Archéologie, sur une surface de 2000 m², dans la commune d’Artzenheim (Alsace – 68) a permis de mettre au jour un portion d’ensemble funéraire daté du Premier Moyen-Âge (fin 6ème – fin 9ème siècle), composé de 48 sépultures à inhumation et de six segments d’enclos funéraires.
Les limites occidentales et méridionales de la nécropole ont été identifiées lors de la fouille, mais l’ensemble paraît se prolonger au nord, sous le village actuel ainsi qu’à l’est. Les tombes sont réparties de manière assez lâche selon un axe longitudinal nord–est/sudouest. Plusieurs regroupements de sépultures ont été observés, occasionnant parfois des recoupements et des superpositions.
Parallèlement à l’étude du mobilier, peu abondant dans cette nécropole, une grande série de datations radiocarbones a été réalisée sur les 48 individus dénombrés (Poznań Radiocarbon Laboratory -Pologne). Pour huit d’entre eux, les échantillons n’ont pas donné de résultats (absence de collagène conservé dans les os).
À partir de ces datations, trois phases d’utilisation de la nécropole ont été définies :
La population inhumée dans la portion de nécropole fouillée est constituée de 6 individus immatures biologiques, 35 individus adultes et 6 individus de plus de 15 ans, parmi lesquelles, 12 hommes et 8 femmes adultes ainsi qu’un garçon et une fille immature biologique ont été dénombrés. Aucun regroupement en fonction de l’âge ou du sexe n’a été repéré au sein du secteur fouillé. En revanche, le calcul du quotient 20q0 a permis de mettre en évidence une importante sous-représentation d’individus immatures, pouvant traduire un potentiel regroupement de ces derniers dans un secteur situé au-delà de l’emprise de la fouille.
Deux principaux types d’architecture funéraire ont été observés au sein de cet ensemble. Le premier type est composé de fosses non coffrées, étroites ou plus larges, possédant uniquement un contenant rigide comme réceptacle du corps du défunt. Le second type, correspond à des fosses coffrées à l’aide de dalles de pierre. Enfin pour 9 sépultures, les limites de fosse n’ont pas été perçues lors de la fouille en raison de leur implantation dans la couche de limon brun recouvrant le niveau graveleux. Dans ces cas, seuls les différents types de contenant rigide ont éventuellement pu être observés. En ce qui concerne ces derniers, ils pouvaient être de type coffrage, cercueil monoxyle ou de nature indéterminé. Trois cercueils monoxyles ont été identifiés sur le site, exclusivement au cours de la phase 2 (660-670/760/770).
Un quart des sépultures présentes dans la portion de nécropole explorée, ont subi un acte de pillage. Plusieurs arguments nous permettent de supposer que les pilleurs ont agi à l’époque mérovingienne. De plus, la particularité sur ce site réside dans l’identification d’un pillage «opportuniste» (4 sépultures concernées), à savoir le pillage d’une sépulture au moment de l’installation d’une autre, sus-jacente, peut-être par les fossoyeurs. Le pillage touche aussi bien les tombes d’hommes que celles de femmes et exclusivement les sépultures d’adultes. Aucune trace liée au pillage n’a été repérée sur les os, en conséquence du mauvais état de conservation de la matière osseuse.
On remarque également que la fréquence de sépultures pillées diminue avec le temps. En effet, si la phase 1 en recense 8, la phase 2 n’en comprend que 3 et aucune sépulture n’est pillée en phase 3. Ces observations découlent très probablement du fait que la pratique du dépôt de mobilier funéraire se raréfie à partir du 7ème siècle.
Une pratique spécifique, caractérisée par le dépôt dans la tombe d’un vase en céramique, a toutefois été mise en évidence pour une dizaine de tombes, toutes regroupées dans la partie centrale de la nécropole. En effet, pour chacune de ces sépultures, un pot a été retrouvé brisé et incomplet dans l’angle sud-est des fosses sépulcrales, dans la partie supérieure du comblement de la tombe, probablement à l’emplacement initial du couvercle du coffre en bois. Cette pratique du bris intentionnel d’un vase sur la tombe, suivi du dépôt d’une seule partie de ce récipient dans la tombe, perpétré au moment de la fermeture définitive de la sépulture, est un geste fréquemment observé dans les sépultures de la période gallo-romaine (Haut Empire et Antiquité tardive). L’observation de la continuité de ce geste dans les sépultures du Premier Moyen-Âge, rarement mise en évidence de manière aussi probante dans notre région, permet ici encore d’apporter des données nouvelles sur les différentes pratiques exécutées autour de la tombe lors de la cérémonie d’ensevelissement des défunts. Notons que cette pratique apparaît à Artzenheim à partir du milieu du 7ème siècle et semble perdurer jusqu’au 9ème siècle. Aucun dépôt de récipient en céramique entier, non brisé, n’a été observé sur le site.
Bien que l’emprise de la fouille n’ait concerné qu’une portion de l’ensemble funéraire, il a toutefois été possible de percevoir une organisation spatiale spécifique organisée autour de plusieurs pôles, pouvant être constitués soit d’une tombe centrale (située dans un enclos funéraire) autour et sur laquelle plusieurs inhumations viennent s’installer, soit du regroupement de plusieurs tombes juxtaposées les unes aux autres (3 ou 4 tombes). Ces observations nous ont donc amené à envisager l’existence de regroupement de type familial et ainsi d’éventuels liens de parenté (biologiques ou sociaux) entre ces différents individus. De plus, l’étude des variations anatomiques non-métriques a permis de mettre en évidence des caractères communs entre certains individus situés à proximité les uns des autres et appartenant à un même groupe de sépultures. La récurrence de ces variations, dont le déterminisme semble être en partie génétique (Saunders, Popovitch 1978), permet ainsi d’étayer cette hypothèse. Afin de confirmer et d’approfondir ces données, une série de prélèvements paléogénétiques a été réalisée sur l’ensemble de ces squelettes. Les analyses entreprises n’ont pas permis de corroborer cette hypothèse. En effet, aucun profil génétique complet n’a pu être obtenu et il a seulement été possible de démontrer que les individus testés n’appartenaient pas à la même lignée maternelle, ce qui n’exclut toutefois pas totalement que des liens de parenté (lignée paternelle) puissent exister. Il convient également de garder à l’esprit que, dans le cas de l’étude des variations anatomiques non-métriques comme dans le cas des analyses paléogénétiques, c’est la parenté «biologique» qui est recherchée et en aucun cas la parenté «sociale», lien qu’il n’est pas possible d’appréhender en contexte archéologique. L’hypothèse de regroupements familiaux n’est toutefois pas exclue, mais il est difficile de le confirmer.
Enfin, l’état de conservation relativement mauvais de la matière osseuse n’a pas permis de réaliser une analyse poussée de l’état sanitaire de la population d’Artzenheim. Néanmoins, un cas de pathologie infectieuse intéressant a pu être mis en évidence. En effet, trois calcifications osseuses de forme ovoïde, présentant une surface externe irrégulière parsemée de nombreuses alvéoles, ont été retrouvées au niveau du thorax de trois squelettes, indiquant que ces individus souffraient probablement de la tuberculose. L’étiologie sera confirmée par des analyses ADN de l’agent pathogène et par une étude de la microarchitecture grâce à l’imagerie médicale 3D.